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La Glace du Sixième Continent

En 2014 – 2015, il m’a été possible de réaliser une année de césure avec l’École de Géologie de Nancy. Ce terme désigne une année étudiante où les deux semestres d’études sont réalisés dans des domaines différents de ma formation de géologue. J’ai trouvé un stage au Laboratoire de Glaciologie et de Géophysique de Grenoble mêlant activités de plein-air et réflexion intellectuelle.

Le stage portait sur la modélisation numérique du vieillissement des formations de neige

Au cours de ce stage, j’ai participé à une campagne d’été de deux mois à la base Cap Prud’Homme en tant qu’assistant glaciologue sous la supervision de Vincent Favier.

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L’Antarctique est un continent hostile extrêmement sec, froid et venteux. En hiver, la banquise s’étend sur plusieurs centaines de kilomètres au large des côtes. L’accès est possible par bateau pendant la période d’été austral qui correspond aux mois de novembre à mars.

L’Astrolabe réalise 5 liaisons entre le port d’Hobart en Tasmanie (Australie) et Dumont D’Urville en Terre Adélie (Antarctique) pour le ravitaillement des bases scientifiques et le renouvellement du personnel. Cette période correspond aux campagnes d’été, où la population de Terre Adélie atteint plus de 100 personnes. Entre deux étés, un groupe de 24 personnes hiverne pendant 9 mois à la base Dumont D’Urville.

Retour en images sur la campagne d'été à Cap Prud'Homme.

 

Cette courte vidéo donne un autre aperçu des activités menées sur le continent glacé ainsi que des paysages et des conditions de travail du personnel de Cap Prud'Homme.

Le voyage est long et peut être pénible car le bateau roule et tangue au franchissement des 40ème hurlants et 50ème rugissants. L'unique refuge est la plate-forme arrière qui permet de prendre l'air et de fixer l'horizon pour éviter le mal de mer. Seuls les Albatros suivent le sillage de l’Astrolabe, perdu dans l’océan glacial Antarctique. Ces oiseaux de 2 à 3 mètres d’envergure planent tout au long de la traversée au ras de l’eau entre les vagues sans jamais donner le moindre coups d'aile.

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L’apparition des premiers glaçons dans l’océan marque la fin de la houle et le retour de la bonne humeur générale. Les plaques de glace grossissent à mesure que le bateau s’enfonce dans la banquise disloquée et les premiers icebergs apparaissent. Chacun a sa forme modelée par la fonte. Ils dérivent lentement de part et d’autre du bateau qui semble réduit à une coquille de noix face à ces géants. Si les vents resserrent les plaques de glace, le bateau peut rester immobilisé plusieurs jours, voir plusieurs semaines.

Les lumières du couchant tardent et viennent progressivement baigner le paysage d’un rose pur. Une fois le soleil couché, toute l’atmosphère se charge d’un dégradé de couleurs tamisés par l’obscurité de la nuit. Les paysages défilent en continu car le soleil fait rapidement sont retour après une courte disparition derrière l'horizon.

Des colonies de manchots Adélie peuplent certains glaçons, ils piaillent sans cesse et se dandinent pour fuir le bateau. Des phoques se prélassent au soleil, ils se tortillent sur la glace et abandonnent leur radeau dès que le bateau approche. Des Pétrels tempêtes et des Pétrels des neiges viennent se joindre aux Albatros dans le ciel. Ils escortent le navire lors de sa progression dans les glaces jusqu'à la banquise.

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Dès que le bateau est amarré, les activités reprennent, il faut rapidement décharger le bateau. Les passagers sont évacués par hélicoptère à Dumont D'Urville ou Cap Prud'Homme, certains prendront un avion vers Concordia. Les provisions et le combustible sont chargés sur des traîneaux directement sur la banquise et tirés par les tracteurs du raid. Lorsque la banquise n'est plus assez épaisse pour porter les tracteurs les hélicoptères prennent le relais pour convoyer le matériel jusqu'aux bases scientifiques.

Cet assemblage de conteneurs, de citernes et de passerelles constitue la base franco-italienne Cap Prud’Homme, située sur le continent à 5 km de Dumont D’Urville. Il s’agit d’un atelier pour les véhicules du raid qui ravitaillent la base Concordia dans le désert de glace. Le ravitaillement arrive avec l’Astrolabe depuis l’Australie, il est stocké et chargé sur les véhicules du raid à Cap Prud’Homme.

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Environ 20 personnes habitent à Cap Prud’Homme, chacun à son histoire, ses anecdotes et ses divertissements. Tous sont marqués par le climat et les conditions de travail en extérieur. Ils participent à l'entretien et la construction de la base ainsi qu'aux projets scientifiques qui sont menés sur le territoire français Antarctique.

Concordia ou Dôme C, est la base scientifique franco-italienne implantée à 1100km dans le désert de glace. Son ravitaillement depuis la côte est le plus grand raid terrestre au monde. La caravane du raid est composée de 8 à 10 tracteurs préparés pour voyager plusieurs semaines en autonomie dans la neige et le froid. Chaque tracteur tire un chapelet de conteneurs de ravitaillement, citernes de combustible et caravanes de vie montés sur skis. Les tracteurs lourdement chargés progressent à 12 km/h pendant 10 jours selon les conditions météorologiques pour atteindre Concordia. Le départ et l’arrivée de cette caravane sont toujours célébrés car ils représentent des moments cruciaux dans la vie de la base.

Plusieurs projets scientifiques sont menés en Antarctique. Ils ont pour but d'estimer la quantité de précipitations neigeuses passées et actuelles ainsi que de comprendre les variations météorologiques spécifiques au continent. Plusieurs types de capteurs et instruments sont déployés et entretenus pour obtenir des mesures continues. Ces données sont traitées et intégrées dans les modèles numériques qui modélisent le climat Antarctique. Ces modèles permettent d'évaluer la quantité de glace au cours du temps sur le continent et ainsi d'évaluer la variation du niveau des mers car le plus grand stock de glace mondial est posé sur l'Antarctique.

 

Ce continent encore peu colonisé par l'homme est également un milieu de vie très diversifié et de nombreuses études ornithologiques y sont conduites. â€‹Une grande diversité d’oiseaux peuple les rivages de ce continent hostile. Les manchots Empereurs et les manchots Adélies vivent en bandes de plusieurs milliers dans les manchotières autour de Dumont D’Urville. La période estivale correspond à l’éclosion des œufs. Les bébés manchots naissent couverts de poils et perdent leur pelage en quelques semaines. Au début de l’hiver, les manchots Empereurs forment un cordon migrateur avant de s’enfoncer dans le désert de glace. Les manchots Adélie regagnent l’océan pour passer l’hiver.

Plusieurs autres espèces occupent le ciel aux dessus des manchotières : Pétrels des neige, Pétrel tempête, mais aussi Damier du Cap et Skua.

Le continent glacé est le désert le plus froid et le plus aride de la planète. Il s’étend sur un peu plus de 13,5 millions de km². Il s’agit d’un dôme de glace formé par les précipitations de neige qui s’écoulent lentement vers les océans. Seuls les 100km du pourtour du continent sont situés en dessous de 1500m d’altitude. Il y règne un climat sec et froid où les vents battent des records de vitesse à plus de 300km/h.

La vie n’existe pas, seule la neige s’étend à perte de vue formant des aspérités à différentes échelles. La neige peut être durcie par le vent ou simplement légère. Se promener dans un tel décor est étrange, l’impression d’immensité est prenante et chaque pas semble ridicule.

Vous, moi, quelqu'un... ce qui compte, c'est cette présence vivante qui vient perturber le calme et l'harmonie du paysage. J'entends mon cœur battre, fort et régulier, seul signe de vie dans cette immensité blanche.

Un grand merci à Jean Marc Montel et Vincent Favier qui ont rendu ce voyage possible.

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C'était un rêve, et je l'ai vécu à fond.

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